Il faut se l’avouer l’utilisation dangereuses des stéréotypes qui virent en rapport de domination ainsi que la tendance naturelle au conformisme de chacun d’entre nous fait qu’il est plus facile de discriminer que de participer activement à la diversité..les enquêtes le confirment: nous n’avons pas tous les mêmes chances de réussite ni d’intégration, à l’école, au travail, ou devant les services publiques…
On le sait maintenant de manière scientifique: nous, les êtes humains ( ne plus dire l’Homme qui instaure une supériorité du masculin de facto ..) avons tendance à faire plus confiance aux personnes qui nous ressemblent; notre cerveau archaïque est programmé pour échapper au danger et tout ce qui est diffèrent est d’abord analysé comme une menace potentielle .. : on appelle cela le mécanisme de survie et c’est très puissant !
Avoir conscience de ce biais à l’origine de nombreuses discriminations ( droit au logement, droit du travail, droits des étrangers …) est une première chose essentielle; mettre en place les mesures pour compenser les méfaits des discriminations est la meilleure manière d’agir: cette deuxième étape ne peut néanmoins être comprise et admise que si l’étape une est intégrée par tous depuis le plus jeune âge.
D’où l’importance de faire de la pédagogie, et c’est là que j’interviens 😉 !
Depuis plus d’un an, j’ai la chance d’animer des ateliers de sensibilisation à la prévention de la discrimination en entreprise et/ou dans la fonction publique
J’ai accepté cette mission car j’ai eu le sentiment d’avoir une forme de légitimité à en parler et, « en même temps », d’avoir pris suffisamment de recul pour ne pas y trouver l’occasion de prendre ma revanche … 13 ans se sont écoulés depuis cette période douloureuse qui m’a permis, après avoir survécu à un syndrome d’épuisement professionnel, de vivre intensément une vie active à rebondissements !
Retour en arrière:
A 38 ans j’ obtiens un diplôme RH en formation continue après deux mandats de Délégué du Personnel: cette situation m’offre l’occasion de vivre personnellement une expérience de discrimination
Pas facile en 2006 d’être retenue à un poste de cadre RH lorsqu’on est cataloguée « ancienne syndicaliste intraitable avec l’encadrement » pour avoir représentée et accompagnée des personnes qui se plaignaient de harcèlement moral.
Aucun regrets par contre, car les merveilleux moments de rire et solidarité avec mes collègues masculins plus âgés et les fortes émotions à écouter la souffrance vécues par des salariés en hyper stress font partie de mon ADN : les émotions au travail, c’est OK = je sais gérer !
Pour rappel, avant 2010, année du rapport Pénicaud et de la médiatisation des suicides dans les grandes entreprises françaises, il est impossible de briser le tabou de la souffrance au travail s’en en payer les conséquences personnellement, même pour les « salariés protégés » (et on s’étonne après que beaucoup ne fassent pas le boulot …)
A cette catégorie sociale bien encombrante, s’ajoute le fait d’être une femme, devenue d’abord une jeune mère de famille sous contrat à 80% choisi , puis une femme qui tente de s’organiser une vie épanouie avec des activités en dehors du travail . Ces critères personnels me donnent alors l’occasion de voir mes brillants collègues célibataires – néanmoins plus jeunes et moins expérimentés- gravir très vite l’échelle de la promotion sociale ( c’est moi en vert…)
Je suis aujourd’hui une consultante formatrice indépendante et j’ai à mon compteur l’animation d’une cinquantaine d’ateliers de prévention de la discrimination en intra entreprise ( avec des personnes de la même entreprise-organisation) ce qui me permet de les aider à analyser le système en place et d’identifier les marges de progrès …
De ces nombreux échanges et activités de formation interactives, dont l’objectif et de développer la conscience des mécanismes en jeu et d’engager les personnes à mettre en place des actions collectives et individuelles de prévention à leur niveau, je retiens principalement les moments d’intimité partagée et l’expression de bien être sur les visages de nombreux participants au cours des échanges, en particulier :
L‘affirmation de soi de cet homme d’environ 40 ans qui ose dessiner le logo de LGBT sur son chevaler quand je demande à chacun de représenter un symbole qui le caractérise
L’émotion dans les yeux de cet ancien militaire cinquantenaire, qui salut à la fin de ce même atelier le courage et la confiance manifestée par un autre homme qui s’ expose devant ses collègues en tant qu’homme gay
La sincérité de cette femme noire d’environ 45 ans qui raconte comment il y a 10 ans, après avoir eu 16/20 à l’ écrit d’un concours, le jury lui donne une note éliminatoire à l’oral qui l’empêchera de passer catégorie A, jusqu’au jour où elle retente et est enfin admise !
La spontanéité de cette femme de 35 ans qui exprime haut et fort en début d’atelier « On ne peut même plus dire qu’on mange de la tête de nègre, faut pas exagérer! Moi on me demande souvent en plaisantant si j’ai couché pour réussir et je ne m’en formalise pas ! » et qui avouera avec honnêteté lors du tour de table final« Vous m’avez permis de voir les choses différemment … » OUF !
La prise de conscience le même jour d’un homme et d’une femme qui contestent systématiquement les sources des informations communiquées sur les enquêtes ou statistiques… ( nombre de recours devant le défenseur des droits, pourcentage de différences salariales entre H/F, ou de chance en moins d’avoir un poste en tant que descendants d’émigrés … ) et qui à la fin, acceptent de remettre en question leurs certitudes devant les autres « Je crois que j’ai compris que j’avais été discriminante sans m’en rendre compte », « Je me rends compte qu’en continuant de dire mademoiselle aux femmes je ne suis pas up to date, … autant pour moi ..»
La retenue d’une femme en fin de carrière, qui dessine spontanément une étoile de David comme signe représentatif pour finalement présenter une croix de lorraine sur l’autre côté de la feuille à ces collègues, « trop clivant « me dit-elle en aparté, dans un souffle …
Et plus que tout les regards tristes devant la vidéo qui relate les expériences psychosociales réalisées avec des jeunes enfants et qui prouvent à quel point le stéréotype « émigré= délinquant » est prégnant dans la société française
Mais aussi les rires francs devant les mises en scène des stéréotypes détournés sur le Net
Un comité directeur constitués de noirs fait entrer un homme de ménage blanc et lui demande s’il retourne bientôt au pays ? Daniel demande à sa responsable pourquoi sa collègue Aline est payée 300€ de plus au même poste, il a le regard de biais et la voix qui s’étrangle qui trahissent l’acceptation de la domination ancestrale d’un sexe sur l’autre..et ben mon pt’it Daniel c’est déjà beaucoup d’avoir pris un homme pour ce poste!…
En animant ces débats de manière la plus tranquille et la plus ludique possible – bon parfois je boue intérieurement, je m’interroge, je m’agite un peu puis me reprends, je fini par confier à ma collègue Sophie à la pause « pas sûre d’y arriver … « – j’ai le sentiment de participer, à une page de l’Histoire et ce, grâce à la générosité et la la franchise de la majorité des personnes, avec qui j’ai partagé ces moments et à qui, visiblement cela a fait du bien !
J’ai une profonde sensation que cette expérience est signifiante pour tous les protagonistes, parce nous avons trop peu l’occasion de réfléchir ensemble aux poids et aux conséquences des préjugés sociétaux, de débattre et de s’écouter pour à la fin reconnaître qu’il existe des pratiques qui œuvrent concrètement en faveur de la diversité…et que nous partageons tous un peu la responsabilité de la réussite de ce projet de société …..
Références des supports utilisés:
Immigration et délinquance – La fabrique des préjugés Infrarouge 26 novembre 2014
Les clichés sont faits pour être retournés by Yassine Belattar
Et la pub danoise qui continue de me donner des frissons
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