Le temps où il fallait « entrer dans un moule » pour correspondre à tous prix à l’image des entreprises est révolu. Cette croyance en partie fondée sur le message contraignant « FAIS PLAISIR » a prouvé ses limites en termes de diversité et de bien être des collaborateurs.
Elle a aussi lourdement pénalisé les entreprises en mal de créativité, dans une période où l’engagement de tous les collaborateurs est un gage de différenciation dans un marché de plus en plus ouvert…
En effet, comment donner le meilleur de moi dans un environnement où il n’existe pas de pratique de reconnaissance existentielle (basée sur la personne et non sur le travail) et où ma singularité n’est pas valorisée, voire empêchée ?
En 1988, lors de ma première année d’emploi CDI ( oui c’était le bon temps), un collègue me dit un matin avec bienveillance : » Ne t’inquiète pas Virginie, je crois que Marie France n’apprécie pas ta nouvelle coupe de cheveux, c’est pas trop dans le style d’Air France, c’est sûrement pour cela qu’elle ne t’a pas dit bonjour ce matin, mais tu sais elle t’apprécie … »
A l’heure du percing et des tatouages, je comprendrais fort bien que cette anecdote vous semble surannée ! Pour tout vous dire, j’avais tronqué mon carré court blond cendré pour une coupe à la Jane Seberg légèrement abricotée … Mais rassurez vous je n’étais pas hôtesse de l’air;) !)
Marie France avait pour fonction la supervision d’une équipe de commerciaux et tenait à maintenir un style classique autour d’elle qui lui semblait aller de soi… Cela ne l’empêchait pas d’être au demeurant une femme très agréable et compétente. Il lui a fallu tout de même plusieurs semaines avant de digérer ma petite trahison stylistique…
Il aura fallu vingt cinq ans pour que le naturel redevienne au goût du jour dans le monde du travail! L’ authenticité est maintenant plus que recommandée par tous les conseillers en communication en tant qu’ élément différenciant, que se soit lors d’une recherche d’emploi ou d’un partenariat commercial. Il faut dire que le modèle des start up, incarné par Steve Job et Marc Suckerberg (des femmes?…), est passé par là , mettant radicalement sur le carreau le look « patron traditionnel ». Au même moment , le dynamisme entrepreneurial devenait synonyme de décontraction apparente… Même son de cloche sur les réseaux sociaux professionnels où il est de bon ton de s’afficher de profil en noir et blanc devant une bannière individualisée. Force est de constater en parcourant la toile, que ces nouveaux codes en décontenancent plus d’un … A voir certains profils, on mesure à quel point les critères « sérieux, neutre , (hyper) concentré, je contrôle la situation. » ont laissé des traces…
Ces codes de communication un peu obsolètes et qui laissent peu paraître la personnalité des individus – désolée pour ceux qui le découvrent- avaient pourtant façonné les contours du moule dans le quel la quasi totalité des cadres français s’étaient logés par confort ou par respect des conventions, exception faite des milieux artistiques et du web 2.0.
Ce qui s’opère en ce moment est donc un beau retour de balancier qui n’est pas sans me faire plaisir, moi qui suis longtemps passée pour une collaboratrice atypique pour cause de non port de tailleur pantalon bleu marine ! Je pense ne pas être la seule à me sentir mieux …Il est vrai cependant qu’il n’est pas toujours facile de décliner aisément les nuances entre le style « hyper classique » et celui du « franchement folklorique ». On ne peut pas nier non plus que l’entrée dans certains milieux reste soumise aux respects de certains codes qui ont la vie dure…
Comme illustration à mon propos voici une manière personnelle et rapide de présenter ma singularité professionnelle
Nos amis du nord de l’Europe ont quant à eux un tour d’avance sur le lien entre la personne et son image de part leur culture pragmatique et égalitariste qui n’incite ni à la différenciation individuelle, ni à l’hyper contrôle du style … C’est donc pour des récriminations de bien être collectif qu’on a vu des conducteurs de train porter la jupe en période de forte chaleur à Stockholm l’ été 2013…
Mais quel lien entretient ce propos emprunté à la sphère professionnelle avec Charlie hebdo, magazine satirique qui vient de prendre une stature internationale bien malgré lui?
Il me semble que Charlie représente depuis ses débuts une singularité française dans le monde de la presse, avec cette capacité à traiter les informations avec une liberté de ton inlassablement renouvelée. Il se trouve par ailleurs que mon père lisait Charlie et son ancêtre Hara kiri, et que ce même père, qui ne se prenait pas au sérieux, était jugé très atypique dans son milieu professionnel d’ingénieurs en électronique. Lui qui tutoyait les ouvriers de son équipe et déjeunait avec les représentants du personnel, s’entendait néanmoins très bien avec ses collègues néérlandais… Mon père, grand lecteur de Charlie, était un ingénieur très singulièrement authentique. Il faisait partie de ces visionnaires qui avaient compris que l’habit ne fait pas le moine, et que rester soi même est non seulement un gage de stabilité individuelle mais aussi un des plus beaux cadeaux que l’on peut faire à son environnement familial et professionnel!
C’est donc, à travers lui que je suis redevable à Charlie de ma capacité à soigner ma singularité sans pour autant me prendre au sérieux …
Merci Messieurs Wolinsli, Cabu et autres compères de route pour votre humour bon enfant et votre singularité revendiquée , vous faîtes en quelque sorte partie de mon patrimoine génétique et même si je n’étais pas une lectrice assidue de Charlie je sais maintenant ce que je vous dois!
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